Anne-Laure est en charge des ressources humaines pour les activités commerciales d’un grand groupe pharmaceutique ; elle a couru les marathons de Paris, New York, Berlin, Chicago et Boston. Xavier, cadre de la fonction publique, est un adepte des trails longue distance et a participé au Raid du Golfe, au tour de Belle-Île, à la Trans Aubrac, au Trail du Vignoble Nantais, aux 50 km, 21 km et 11 km du Xterra à Moorea (Polynésie française), au semi-marathon Marvejols-Mende, à la course entre Marseille et Cassis, au Choco Trail d’Hardricourt, et au Trail Glazig. Tous deux ont 49 ans et ont accepté de partager leur expérience de la vie côté course à pied de grand fond.
Votre lectrice-correctrice ‒ Quelle place tient le marathon/le trail longue distance dans ta vie ?
Anne-Laure ‒ Une place énorme. C’est mon challenge annuel. Challenge qui est pour moi l’aboutissement des courses et de mes entraînements de l’année.
Xavier ‒ Je suis addict à la course à pied en général : à moins de deux séances par semaine, je ressens un manque, qu’il y ait un objectif de course ou pas. Cela fait partie de la routine depuis plusieurs dizaines d’années (presque quatre !).
Votre lectrice-correctrice ‒ Qu’est-ce qui te fait courir sur une si longue distance, qu’est-ce qui t’anime ?
Anne-Laure ‒ L’ampleur du défi. Il y a toujours le côté « je ne sais pas si je vais y arriver, si je vais aller au bout ». Avec l’expérience, j’ai moins peur. Maintenant, je me demande plutôt en combien de temps je vais finir.
Xavier ‒ Le moteur principal, c’est l’envie de découvrir un environnement non accessible en temps normal. En auxiliaire, je dirais relever un défi, trouver ses limites.
Votre lectrice-correctrice ‒ Un mot pour définir ce que représente le marathon/le trail longue distance pour toi. Pourquoi ce terme ?
Anne-Laure ‒ Persévérance. Pendant la course, tu passes vraiment par des hauts et des bas. Tu sais que si tu t’arrêtes, tu peux ne pas repartir. Tu fais une analogie avec ta vie : les moments heureux et les moments qui le sont moins.
Xavier ‒ La course à pied, c’est une soupape de décompression qui permet de fatiguer le corps, régénérer l’esprit, se reconcentrer et repartir de l’avant. Essentiel à la vie quotidienne, facile à mettre en œuvre où que l’on soit, pas besoin de beaucoup de matériel.
Votre lectrice-correctrice ‒ À quoi pense-t-on pendant de telles courses ?
Anne-Laure ‒ Avant tout : j’ai besoin de ma musique. Par exemple, pour ce qui concerne le marathon de Boston, je peux dire exactement quelle musique j’écoutais lorsque j’étais dans la dernière ligne droite alors que j’étais en difficulté, et que je me disais : « Sur cette musique-là, je ne peux pas finir en marchant ».
Il y a un mix entre les moments où je réfléchis et ceux où je réfléchis moins.
Lorsque je réfléchis, je pense au temps de ma course ; je fais des calcul sur le rapport temps/distance qu’il me reste à parcourir. Je réfléchis aussi à « ma vie, mon œuvre », à ma famille, à mes amis. Quasiment toutes les chansons de ma playlist me rappellent quelque chose, sont liées à un évènement ; des chansons très rythmées ou très tristes. Et je réfléchis à la joie que j’aurai au moment où je finirai la course et à ce que j’aurai envie de raconter de mon marathon.
Je me parle, pendant le marathon, et il y a des moments où je me dis : « Arrête de réfléchir et regarde le cadre ». Cela dépend du marathon et de l’environnement dans lequel il se déroule. Car il y a de très beaux paysages et d’autres que tu as moins plaisir à regarder.
Xavier ‒ Au début, on profite de l’environnement, du paysage, du fait d’être accompagné. Ensuite, on est souvent seul et en lutte avec soi-même pour tenir, se dépasser, atteindre ses limites ou ses objectifs.
C’est également l’occasion d’une introspection sur les petits tracas de la vie, les enfants, la famille, le travail, les vacances, l’avenir, la politique, la façon dont tourne le monde, la musique… On a le temps. Je suis aussi attentif aux signaux que m’envoie mon corps : petites douleurs, besoin de boire, de manger, de dormir…
Une fois la course terminée, il y a la satisfaction d’avoir atteint l’objectif, la fatigue qui peut être très lourde, mais aussi un bien-être du fait d’avoir fait un point avec soi-même, de s’être remis à niveau, et de s’être reconnecté avec la nature.
Votre lectrice-correctrice ‒ Ton meilleur souvenir de marathonienne/de coureur longue distance ?
Anne-Laure ‒ Le marathon de New York. Tu dois arriver très en avance et tu es obligé d’attendre trois ou quatre heures avant le départ. Il faisait froid. Et quand enfin le signal du départ est donné, tout à coup, tu entends la voix de Franck SINATRA qui chante « New York, New York ». Après tout ce temps d’attente, tu t’élances dans la course avec cette chanson, sur ce pont mythique qui relie Staten Island et Brooklyn.
Xavier ‒ C’est le même vécu sur deux courses différentes : le passage du col de Goudard sur la course Marvejols-Mende et la côte des pompiers à Cassis, où le public est tellement proche qu’on a l’impression d’être en vélo à l’Alpe d’Huez pendant le Tour de France. On se sent voler même si ça monte sévère.
Sinon la beauté, la force et la diversité de la nature (Aubrac, bord de mer, montagne) qui font se sentir tout petit et très humble avec la chance d’être là.
Et pour finir, je dirais un pamplemousse sur la route retour après avoir fait Omoa-Hanavave- Omoa [sur l’île de Fatu Hiva, dans l’archipel des Marquises, en Polynésie française ‒ note de votre lectrice-correctrice]… Ce pamplemousse-là dans la descente, quel bonheur ! Globalement, les repas d’après courses sont sympas aussi !
Votre lectrice-correctrice ‒ Une mauvaise expérience ?
Anne-Laure ‒ Le marathon de Boston. C’est un marathon très dur psychologiquement au début. En général, les marathons font une boucle au milieu d’une ville mais celui de Boston, c’est le seul qui fait une ligne droite. Tu vois au loin les petits buildings de Boston, ça paraît très long. Le parcours n’est jamais plat (il y a beaucoup de montées) et le cadre n’est pas très beau (on traverse des centres-villes de banlieues). En plus, il pleuvait et j’avais mal partout.
L’enfer. Je pourrais refaire tous les autres marathons mais jamais celui de Boston.
Xavier ‒ Un balisage piraté sur le Raid du Golfe qui en pleine nuit, rajoutait 10 km à une course qui en comptait 100 pour finir en impasse. Un voisin pas forcément « coureurs friendly » avait modifié le parcours pour éviter qu’il passe devant chez lui… Pas cool.
Votre lectrice-correctrice ‒ Une anecdote ?
Anne-Laure ‒ Le fait que je n'ai jamais réussi à faire le marathon des châteaux du Médoc ! [course festive où les participants sont invités à se déguiser, de nombreuses animations leur étant proposées tout au long du parcours dans les vignobles du Médoc ‒ N.D.V.L.-C.] La première année parce que j'étais persuadée que je ne serais pas capable de faire une telle distance [le marathon des châteaux du Médoc est considéré comme le marathon le plus long du monde (42,195 km) ‒ N.D.V.L.-C.], la deuxième année parce que je me suis fait une fracture de fatigue en vélo quelques mois avant, la dernière tentative correspondant à l'année où je suis partie vivre à Boston avec ma famille… Depuis notre retour en France, le marathon des châteaux du Médoc se déroule toujours un mois avant les autres « vrais » marathons et y participer me fatiguerait donc pour les autres marathons qui sont les marathons d'automne. Mais je ne désespère pas et me suis inscrite pour l’édition de cette année [la 37ème, qui aura lieu le 2 septembre prochain, sous le thème de la gastronomie ‒ N.D.V.L.-C.]. Il faut juste que je me remette de Boston…
Xavier ‒ Une course de nuit, grosse fatigue ; je me couche dans un fossé un peu en marge du chemin pour faire une petite sieste d’un quart d’heure. Mais impossible de dormir car tous les coureurs venaient me demander si j’allais bien en me mettant leur frontale dans les yeux. Finalement, je suis reparti sans dormir.
Votre lectrice-correctrice ‒ « La vie est une course » : qu’en penses-tu ?
Anne-Laure ‒ Je vais le tourner autrement, plutôt dans l’autre sens. Ma psy m’a dit : « Vous irez bien lorsque vous saurez après quoi vous courez ». Effectivement, je cours après la vie. La course en général remplit une grosse partie de ma vie.
Xavier ‒ Oui, il
y a de ça, mais il faut savoir prendre le temps d’apprécier le chemin et de
faire un détour pour découvrir un lieu, une personne. Prendre le temps, c’est
bien aussi.